“Tout a commencé il y a quelques mois. Je m’étais rendue à un bal qu’Il avait organisé dans son manoir, afin de fêter son entrée dans la Cour. Dès que je l’ai vu… Lui, dans un costume étincelant, Lui, si élégant, Lui. Je ne voyais désormais plus que Lui dans la salle. Puis nos regards se croisèrent. Oui, Il avait daigné me regarder, moi, qui n’avais même pas encore fais mon entrée dans la Cour et qui avais pourtant osé me montrer à une réception. J’étais comme hypnotisée par Ses yeux verts émeraude. Nous restâmes à nous regarder ainsi un certain temps. Il me sourit. Je n’avais jamais vu un sourire aussi beau et aussi franc auparavant. J’esquissai un sourire à mon tour. C’est alors que je me rendis compte que je Le dévisageais sans aucune pudeur. Je baissai brusquement les yeux et rougis fortement. Je continuai toute la soirée à L’observer discrètement, mais Il ne me jeta plus un seul regard.

Après, je L’ai revu, à une autre soirée. Je me suis approchée de Lui. Je voulais lui parler. Entendre Sa voix. Mais je voulais être la seule destinataire de Ses mots. Je voulais qu’Il me parle, à moi. Mais Il était constamment entouré de très belles dames et d’élégants messieurs. Je désespérais de pouvoir Le saluer un jour. Un peu après, étourdie par la chaleur dans la pièce, je décidai d’aller prendre l’air sur le balcon. À la vue de la personne accolée à la balustrade, mon cœur fit un bond. C’était Lui. Il regardait au loin, par-dessus les jardins, par-dessus les lueurs de la ville voisine. Doucement, je m’approchais. Il du m’entendre, car Il soupira. Je voulu m’arrêter, revenir en arrière, partir à toute jambe. Mais une force m’attirait indubitablement vers Lui. Je m’appuyai sur la balustrade à ses côtés. Il tourna lentement la tête, et son visage s’éclaira en me voyant.

-Oh, vous êtes la jeune fille de l’autre soir… Mes salutations.

-Heu… Je…

Oui, je bégayais stupidement, je ne savais que dire, je passais pour une sotte. Mon Dieu, mais qu’est-ce qui m’avait pris de venir effrontément à sa rencontre ? Lui, qui avait certainement voulu trouver la paix en se retirant quelques instants dehors !
Devant mon embarras, il me sourit. De ce même sourire que l’autre fois, au bal.

-Vous aussi, vous êtes lassée par cette réception ennuyeuse ? me demanda-t-il.

-On… on peut dire ça comme ça. Je voulais respirer un peu d’air frais, car cette chaleur étouffante à l’intérieur m’assomme.

-Hm, je vois. Au fait, je ne vous ai pas demandé votre nom, remarqua-t-il en me lançant un regard inquisiteur.

-Je m’appelle Amélia Tieffray.

-C’est un bien jolie nom que vous portez. Et je pense que vous connaissez déjà le mien, fit-il en laissant échapper un rire cristallin.

Je hochai doucement la tête, gênée. Je me sentais si bien, à ses côtés… Soudain, un valet fit irruption, et lui chuchota quelque chose à l’oreille. Il perdit Son sourire, me salua d’un bref geste de la tête, et retourna à la réception.

Quelques mois plus tard arriva un drame. Mon père, Eric de Tieffray, fut assassiné. Privée de son pilier, ma famille s’écroula. Ma mère, qui aimait réellement mon père, dépérissait à vue d’œil. Mon jeune frère, très peu expérimenté, essaya tant bien que mal de reprendre l’affaire familiale, mais toute notre entreprise fit faillite, emportant toute notre fortune avec. Il s’engagea dans l’armée pour essayer de rapporter quelque maigre salaire afin de nous permettre de nous nourrir décemment, aucun cousin éloigné ou oncle n’ayant accepté de nous prêter de l’argent. Il fallut bien vite vendre le manoir.

Alors une idée folle me pris. Celle de Lui demander de l’aide. C’est ainsi que j’écrivis une lettre demandant du soutien financier à celui dont j’étais tombée amoureuse. Mais elle n’eut aucune réponse. Rien. J’espèrais au plus profond de moi que c’était parce qu’il ne lisait pas lui-même son courrier, et qu'il ne m'avait pas volontairement ignorée.

Deux semaines plus tard, ma mère et moi apprîmes la mort de mon frère. Cela acheva ma mère, qui décéda une semaine plus tard, par refus de s’alimenter. J’étais seule. Toute seule.
Alors cette fois, je pris une décision. J’allais Lui demander directement. C’est ainsi que je me présentai au palais. Je me fis refuser l’accès par trois fois à Son bureau, mais à la quatrième fois, on me laissa entrer.

Je poussai doucement la porte. J’avais mis la seule belle robe qui me restait. C’était celle de notre première rencontre. Il me regarda. Mais sans ce sourire qu’il m’avait lancé il y a longtemps. Maintenant, il avait un air grave.

-A qui ai-je l’honneur ? demanda-t-il.

Il me fixait, l’air de ne pas comprendre.

-Mais enfin… Je suis Amélia…

-Amélia ? Je ne connais pas d’Amélia.

-Si ! Nous nous sommes vus par deux fois, lors de réceptions ! Amélia Tieffray, rappelez-vous… Au balcon…

-Vous êtes… La dernière héritière de la famille récemment déchue ?

-Oui ! Je voulais vous demander, au nom de notre amitié naissante…

-Pardon ? Me coupa-t-il. Ce n’étaient que quelques mots échangés, rien de plus. Je ne vois pas ce que vous vous êtes imaginée. Et je ne peux pas vous aider. Maintenant, sortez. J’ai du travail.

-Mais… Je vous en supplie ! S’il vous plait ! L’implorai-je, les larmes au yeux.

Il soupira, et fit un simple signe aux deux gardes postés de chaque côté de son bureau. J’eu beau me débattre, ils me mirent à la porte. Je cru distinguer, juste avant que la porte ne se referme, le regret et la gêne sur Son visage.”